La poésie n’est pas condamnée à devenir un simple exercice littéraire. La poésie ouvre l’imaginaire et la créativité pour alimenter le désir d’insurrection.
Face à l’étouffoir conformiste de la société marchande, la poésie libertaire peut ouvrir un autre imaginaire. Casser les normes et les hiérarchies peut permettre d’ébrécher l’ordre capitaliste. Carmine Mangone, poète et penseur critique, propose quelques textes dans son livre Glisser une main entre les jambes du destin. Il renouvelle la critique de la vie quotidienne et tente de penser des pistes émancipatrices.
« Le monde du travail semble fait sur mesure pour les imbéciles qui se soumettent à la nécessité de brader leur vie, pour ne pas avoir à réagir à la petite mort de chacun de leur jour », ouvre Carmine Mangone. Son refus du travail exprime une affirmation de la vie. Dans la société marchande, les activités créatrices doivent se contenter de produire de la valeur. L’acte de créer doit rester enfermé dans le cadre de l’utilité et de la productivité. « La poésie à l’inverse, par opposition au monde du travail, est jugée gaspillage, dissipation, inconsistance souveraine », affirme Carmine Mangone.
Cette force poétique dépasse le simple cadre de l’écriture de poème. Elle doit permettre de se réapproprier des mots qui nous aliènent et dont nous sommes dépossédés. Le flux médiatique impose l’accumulation de lieux communs et la consommation de mots. Une véritable novlangue se développe. La poésie peut permettre de reprendre le contrôle du langage et de la vie. « La poésie doit redevenir errante. Le Livre ne peut pas l’emprisonner. Courez le monde, prenez des décisions, oubliez les définitions du pouvoir », encourage Carmine Mangone.
L’érotisme contre les contraintes sociales
Dans le sillage des surréalistes, la poésie repose sur l’amour charnel, le plaisir sexuel et la libération des contraintes. L’érotisme doit permettre de briser les carcans de la société pour libérer des pulsions primaires. « Nous sommes des animaux. Nous sommes des enfants », précise Carmine Mangone. Il invite à retrouver la dimension ludique du plaisir sexuel contre le règne de la séparation. « Le monde de la civilisation humaine est essentiellement constitué de vides entre les corps, les choses et leurs relations », observe Carmine Mangone.
L’érotisme attaque également la religion et ses dogmes poussiéreux. La sexualité incarne la matérialité charnelle contre les chimères religieuses. « Ma bite en érection est une vérité encore plus réelle que n’importe quel Dieu. Ton con ruisselant d’humeurs est une vérité plus antique que n’importe quel paradis », précise Carmine Mangone. La tendresse, les caresses et les corps qui se touchent expriment au contraire la réalité. « L’unique vérité concrète est le corps des vies que nous touchons. Toute le reste n’est qu’un ensemble des choses inanimées et d’idées à vérifier », poursuit Carmine Mangone.
L’amour et la dimension affective renforcent le plaisir sexuel. L’érotisme brise la dimension artificielle des relations humaines. « Celui qui éprouve l’amour et ne préserve pas la puissance qui naît des relations authentiques – celui qui la réduit à la stérilité, visqueux pouvoir des sous-hommes – perd la séduction de l’impossible et les révélations de l’ombre », estime Carmine Mangone.
L’érotisme contre l’ordre existant
La littérature érotique est devenue un produit lisse et formaté. Sans aspérités ni transgression provocatrice. « La littérature dite “érotique” m’ennuie à mort, surtout quand elle est écrite par des gens qui se bornent à évoquer les frontières du sexe sans les surmonter, sans se donner en pâture à de nouvelles subversion amoureuse », déplore Carmine Mangone. L’érotisme reste sagement dans le cadre de l’ordre existant. La banalité des lieux communs a désamorcé la charge subversive de l’érotisme.
« La subversion est comme un 69 : à savoir embrasser, se faire embrasser, un enchevêtrement de membres, de mots, de convictions et de désirs, dans un devenir-animal qui est une reconnaissance de cette relation et de son unicité », décrit Carmine Mangone. Les pervertions ne font que divertir des petits bourgeois désœuvrés. Une marchandisation du sexe détruit toute forme d’amour charnel et de sensualité.
L’amour, comme la révolution, doit ouvrir de nouvelles possibilités d’existence. L’amour doit permettre de sortir du carcan de la froide réalité. Mais une dimension passionnée doit guider l’amour pour ne pas sombrer dans la routine du petit couple bourgeois. « Le stupide enclos en bois de l’amour idéal – stupide comme tous les enclos – brûle splendidement », affirme Carmine Mangone.
Il attaque le mode de vie petit bourgeois avec son conformisme et son existence rythmée par la monotonie. « Vous qui lisez sans regard critique. Vous qui écrivez toujours la même poésie merdique. Vous qui courez après le dernier joujou technologique à la mode, après le mariage, la bague en diamant, l’asepsie, une vie aisée, une niche au cimetière, l’équilibre… », ironise Carmine Mangone.
La poésie et l’écriture se confondent avec la communication. Mais il semble plus important d’exprimer une créativité pour construire sa propre vie. « Moi, je ne communique rien ; j’essaie seulement de faire ma vie – et de me faire la tienne », précise Carmine Mangone. La patrie et le capital débouchent vers des relations humaines qui reposent sur la prédation et la brutalité. La joie de vivre est alors éradiquée. La peur contribue également à détruire les relations humaines.